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Les Ponts Habités
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Le pont habité, on la compris, offre des fonctions
supplémentaires. Sa spécificité réside
dans le fait quil est enrichi par la présence darchitectures
construites, ce qui suppose que le but nest pas nécessairement
de passer de lautre côté : on sy arrête
pour contempler les vitrines des magasins, on flâne, et
mieux, on peut même y vivre ! Ce sont ces notions qui
nécessitent de donner une nouvelle définition,
cette fois plus sensible du pont habité.
Le pont habité est celui qui en plus de
sa vocation publique de franchissement dun obstacle naturel
(une rivière) ou artificiel (un canal, une autoroute
ou des voies ferrées) sert délément
de liaison organique entre deux quartiers ou pôles urbains
en les reliant par un développement linéaire continu
de bâtiments construits sur le tablier du pont pour y
accueillir en permanence diverses activités sociales
et urbaines. Tout pont habité a donc une double composante
et comporte une infrastructure (la plate-forme qui enjambe lobstacle)
et une superstructure architecturale ; celle-ci confère
alors à lensemble une plus value à
la fois fonctionnelle, économique et sociale, mais aussi
une plus value culturelle, symbolique et affective. Cette pluralité
assure au pont un pouvoir dattraction complémentaire,
qui concilie des valeurs quantitatives et qualitatives. Le pont
habité est un élément de cohérence
urbaine, en instaurant une continuité linéaire
là où il y avait par définition une coupure
dans le tissu urbain ; il dote dune connotation positive
un lieu marqué négativement par une césure,
par un vide. Le pont habité agit donc dans la ville comme
un aimant fédérateur. Il est par essence polyvalent
et porteur dune diversité multifonctionnelle. Par
opposition, les ponts ordinaires en nassurant que
la seule fonction du trafic - sont monofonctionnels et
ne satisfont pas à ce critère de complexité
qui est fondamental et indispensable pour créer des lieux
propre à lépanouissement de la vie urbaine.
Ainsi naît une synergie rare entre ingénierie et
architecture, entre fonctionnalisme et agrément, entre
rationalisme et charme, entre valeurs matérielles et
affectives.
1] Les ponts habités dans lHistoire
Ils apparaissent en Europe dès le Moyen ge, au XIè
ou au XIIè siècle selon les pays et les régions.
Lapogée du genre se situe essentiellement entre
la fin du Moyen ge et le XVIè siècle. Suite à
diverses perversions et dénaturation, un déclin
samorce durant le XVIIè siècle. Le dernier
pont habité de la période préindustrielle
est construit en Angleterre, à Bath, par larchitecte
Robert Adam, à la fin du XVIIIè siècle.
La démolition de la plupart dentre eux se généralisent
alors.
Le Moyen Age en Europe a connu la construction abondante de
ponts habités. La France en a même compté
plus dune trentaine. Ce type de constructions fut encouragé
par la configuration des villes fortifiées de cette époque,
elles ne laissaient que peu despaces libres à cause
de leurs tissus urbains très denses. La moindre présence
despaces libres, même le tablier de ponts joignant
les deux rives de la ville, présentait des possibilités.
Tout type de bâtiment pris naturellement place sur les
ponts : habitations, commerces, lieux de cultes
Différentes communautés sinstallèrent
sur ces nouveaux édifices, les grossistes, les bouchers,
les forgerons et ce jusquà des catégories
plus prestigieuses comme les bijoutiers, joailliers. Initialement,
ces commerçants commencèrent leurs activités,
abrités sous des kiosques, échappant à
toutes sanctions administratives. Ceci aurait été
le cas à Venise, où les magistrats responsables
du pont décidèrent alors dintervenir afin
de régulariser les activités commerciales et den
tirer évidemment quelques bénéfices.
Après 1500, les autorités régulant les
ponts habités encouragèrent la formation de concentration
de commerces de luxes, ce qui fut le cas à Paris au Grand
Pont (plus tard Pont du Change). Le Roi poussa les agents de
change à regrouper leurs activités sur ce pont,
bien sûr régis par la Cour. Cette concentration
attira ensuite des activités commerciales relatives à
ces agents de change comme les bijoutiers et joailliers. De
tels cas, que nous allons présenter un peu plus loin,
ont existé à Londres, Paris, Florence
et
représente le modèle le plus commun.
Mais dautres ponts habités ont vu sur leur tablier
des bâtiments et des fonctions un peu plus inhabituelles.
1.1.A ] Le pont-chapelle :
Les ruines de St Bénézet à Avignon sont
les rares vestiges de ponts possédant une chapelle. Ces
édifices étaient pourtant très courant
au Moyen ge.
Un pont était perçu avec admiration lorsquil
résistait à la furie des eaux. La construction
dune chapelle, très souvent dédiée
à St Nicolas, patron des navigateurs, était la
manifestation matérielle de cette admiration et le financement
seffectuait grâce aux dons, aumônes ou autres
aides épiscopales. De tels ponts virent le jour en Italie
aux alentour de la moitié du XIIè siècle,
et se développèrent rapidement en Europe.
1.1.B ] Les ponts fortifiés :
Par leurs apparences monumentales, les ponts fortifiés
ont continué dinspiré les ingénieurs
bien après quils aient perdus leur rôle défensif.
Construit à la fin du XIXè siècle, le Tower
Bridge de Londres en est un exemple.
Traditionnellement les ponts fortifiés faisaient pourtant
partie intégrale du système défensif des
villes. Avec les changements de tactiques militaires et lexpansion
des villes au-delà des murs, les ponts fortifiés
ont peu à peu perdu leur fonction originale. Nombres
de ponts fortifiés ont vu leurs tours détruites
après le XVIIIè siècle, laissant plus despace
au trafic toujours grandissant.
Lélément le plus représentatif du
pont fortifié était la tour avec ses herses et
meurtrières bloquant lennemi.
1.1.C ] Les ponts ruraux :
Normalement construits exclusivement sur des terrains privés,
les ponts habités ruraux étaient le fruit de fantaisies
personnelles. Ils peuvent être classés selon deux
larges catégories : pont-château, contenant
des habitations, et pont-jardin, simple objet décoratif.
La France possède deux ponts-châteaux
: le Château de Fère-en-Tardenois aujourdhui
en ruines, et le Château de Chenonceau dans la vallée
de la Loire.
1.2 ] Importance géographique
:
Historiquement parlant, le pont habité est un concept
et une pratique spécifique aux villes dEurope.
Toutefois, il nexiste aucune trace significative ni au
sud de lEurope (Espagne, Portugal, Grèce) ni au
nord (Scandinavie), ni en Europe de lEst. Les pays majoritairement
concernés sont lAngleterre, la France et lItalie
; lAllemagne, lAutriche, la Suisse, la Belgique
et la Hollande létant aussi, mais dans une moindre
mesure.
Il faut signaler que nous avons trouvé quelques très
rares réalisations au Moyen-Orient et en Asie (Népal),
qui ne semblent pas sinscrire dans une tradition continue.
Le pont-barrage, en Iran, édifié au XVIIè
siècle à Isfahan, est lexemple le plus abouti
que nous connaissons. Cest un chef-duvre dingénierie
et darchitecture dun extrême raffinement,
mais qui relève dune logique assez différente
de celle des ponts habités dEurope. Quand aux Etats-Unis,
ils nont découvert ce modèle quau
début du XXè siècle.
Dans les pages qui suivent, nous allons découvrir lhistoire
des premiers ponts habités, ceux qui ont pris places
à Londres, Paris, Florence et Venise, et qui ont, dune
façon ou dune autre, participé très
activement à leurs histoires.
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