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Les Ponts Habités
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3] Les ponts habités nexistent plus, mais les
projets demeurent
Si, dès la fin du XVIIIè siècle, il nexiste
plus de commanditaires publics ou privé pour construire
des ponts habités, cet archétype darchitecture
et durbanisme reste toutefois ancré dans la mémoire
ou linconscient de nombreux architectes qui, au cours
des XIXè et XXè siècles, élaborent
de nombreux projets très diversifiés et souvent
novateurs, mais qui resteront presque tous à létat
de dessin.
La continuité chronologique, quasi ininterrompue, de
ces projets imaginaires pendant deux cents ans constitue un
phénomène dautant plus surprenant, quil
nexiste, à cette époque, aucune demande,
aucune formation ni information susceptible dalimenter
la production de ces projets spécifiques. Tout semble
se passer comme si chaque architecte concerné redécouvrait
tout seul lintuition initiale des ponts habités.
3.1 ] Les propositions du XIXè siècle, quelques
exemples significatifs.
Le projet utopique de Baltard à Lyon.
Louis-Pierre Baltard a été un des grands esprits
de son époque, professeur darchitecture à
lécole polytechnique et très doué
dans son domaine, il se voit confié, à la fin
du règne de Charles X, le problème de la prison
de Roanne. Depuis la Renaissance, ce seul édifice, utilisé
pour toutes les fonctions de la justice de la ville de Lyon,
a besoin dêtre remplacer. Bien que Baltard réalisa
le Palais de Justice de Lyon sur les quais de Saône, il
fait un second projet, bien plus utopique.
Son projet aurait remplacé le Pont au Change, traversant
la Saône. Construit au XIIè et XIIè siècles,
le Pont au Change reliait le Lyon épiscopal
de la rive droite au Lyon municipal de la presquîle.
Baltard proposa la création de deux nouvelles places,
la première pour le Palais de Justice, la seconde pour
la prison, le tout supporté par un énorme pont-plateforme
construit sur trois tunnels.
Deux ponts reliaient cette nouvelle île aux rives de la
Saône. Le premier, sur lalignement original du Pont
au Change, donnerait accès au Palais de Justice, et le
second, un nouveau pont, à la prison.
Les arcades du rez-de-chaussée procureraient des espaces
de commerces, et les colonnades du premier niveau offriraient
une promenade pour les magistrats. Dautres dessins montrent
que Blatard aurait aussi considéré ce site approprié
à dautres activités comme le théâtre.
La proposition de G.Eiffel pour le Pont Iéna à
Paris.
Pour le concours associé à lExposition Universelle
de 1878 un pont par-dessus le Pont Iéna,
Eiffel définit lui-même sa proposition doriginale,
audacieuse et techniquement extraordinaire. Malheureusement,
comme beaucoup des projets de ponts habités de lépoque,
son projet fut rejeté par les autorités, le Préfet
de la Seine craignant que la structure obstruerait la vue vers
le tout nouveau Palais du Trocadéro.
Son projet, un pont par-dessus le Pont Iéna consistait
en une arche unique de 130 mètres de long, en acier,
dapparence légère et gracieuse, avec, au-dessus,
un hall assemblé darcades vitrées, de 70
mètres de long pour 24 mètres de large. Plutôt
que dêtre occupé par des maisons et des magasins,
sa fonction consistait en un espace dexpositions et de
fêtes, reliant les deux principaux sites de lExposition
Universelle, le Champs de Mars et Chaillot.
Jusquà la fin du XIXè siècle, les
projets ambitieux de G.Eiffel influencèrent un grand
nombre de projets européens, comme celui de Friedrich
Keck qui proposa de relier les deux rives du Rhin à Bâle
grâce à un hall et un marché couvert assemblés
dacier et de verre.
3.2 ] Au XXè siècle,
les propositions saccélèrent
Plus dune centaine de projets concernant une vingtaine
de villes dans une douzaine de pays européens ont été
conçus au cours du XXè siècle. Une majorité
dentre eux ont été élaborés
par des architectes de notoriété internationale
représentant à travers tout le siècle un
très large spectre de courants culturels différents
: de lhistoricisme au high tech, de lexpressionisme
au constructivisme, du rationalisme au méga-structuralisme,
de lart déco au pop art, du arts and crafts au
postmodernisme, du déconstructivisme au contextualisme.
Il apparaît clairement que rechercher à construire,
imaginer de nouveaux ponts habités nest pas une
idée en soi marginale et quelle nest prisonnière
daucune pensée ni daucun phénomène
éphémère de mode.
Le temps des ponts modernes est par essence celui d'une
mégalomanie, ou tout au moins d'une vision grandiose,
en accord parfait avec l'efficacité des ingénieurs.
Une seconde moitié de XXè siècle qui montre
une envie encore plus pressante.
Le principe des mégasrtuctures architecturales se généralisa
durant les années soixante. Plusieurs projets affectaient
la morphologie des ponts habités. Larchitecte Friedman
en dessina de multiples variantes, destinées à
une implantation urbaine (par exemple à Monaco en 1959),
régionale ou internationale, avec son Channel Bridge
de 1963 destiné à relier lAngleterre et
la France. Dans une apothéose du gigantisme planificateur,
Kenzo Tange élabora avec le Groupe du métabolisme,
son célèbre projet dextension de Tokyo sur
son territoire maritime. Ainsi Tokyo, New York et San Francisco
auront inspiré aux architectes de ce siècle les
projets les plus colossaux.
LEurope a échappé à cette démesure.
Toutefois, des architectes italiens ont élaboré
plusieurs projets ambitieux : Gregotti conçut le développement
linéaire de nouvelles villes universitaires, destinées
à traverser le paysage rural, comme de longs ponts habités
; Gaetano Pesce proposa un pont de lEurope traversant
le Rhin, près de Strasbourg, sur lequel se greffait une
multitude darchitectures évoquant parfois linfluence
du pop art. En 1968, lAméricain Louis Kahn fut
sollicité pour construire à Venise un palais des
congrès quil conçut comme un pont habité
franchissant un canal. Afin de traverser lemprise très
large dune vingtaine de voies ferrées qui, aux
abords de la gare centrale de Zürich, coupaient le quartier
en deux entités étanches, Mario Botta adopta une
démarche similaire.
En Allemagne et en Autriche, les architectes redécouvrent
aussi, durant les années soixante et soixante-dix, les
vertus des ponts habités : Deilman à Linz, Böhm
près de Düsseldorf ou à Bonn pour implanter
le nouveau Parlement à travers toute la largeur du Rhin.
Paris considéra également une exposition universelle
pour célébrer le bicentenaire de la Révolution
française. Pour relier les deux rives de la Seine, les
architectes Gregotti, Antoine Grumbach et Ionel Schein suggérèrent
chacun séparément des projets, mais tous trois
élaborèrent des variantes typologiques sur les
ponts habités.
Parmi les grands projets initiés par François
Miterrand, la nouvelle bibliothèque nationale de France
a fait lobjet dun concours international, Jean Nouvel
la conçut comme un ensemble de cinq bâtiments linéaires
groupés en éventail convergeant vers la Seine
dont celui du centre se prolonge en pont habité pour
franchir le fleuve et créer ainsi une articulation culturelle
optimale et symbolique entre la rive gauche et la rive droite
de la capitale.
En Suisse, Bernard Tschumi fut lauréat du concours organisé
par la ville de Lausanne en 1989 afin de remédier à
la césure quimpose une vallée au cur
même de la ville ; il proposa dimplanter quatre
ponts habités parallèles qui franchiraient cet
obstacle géographique pour assurer une nouvelle cohérence
urbaine.
3.2.A ] De lautre côté de lAtlantique.
Durant les années vingt, des architectes américains,
Mullgart à San Francisco, Raymond Hood et Hugh Ferris
à New York proposèrent deux projets dune
ampleur sans précédent. Cétaient
des gratte-ciel (construits sur les rives de la baie de San
Francisco ou au milieu du fleuve Hudson) qui servaient de piles
géantes pour soutenir un pont suspendu sur lequel se
greffaient des bâtiments complémentaires. Leur
capacité daccueil variait entre vingt-cinq mille
et cent mille personnes qui devaient y loger ou y travailler.
La crise économique de 1929 brisa tout espoir de voir
se matérialiser ces projets pharaoniques.
Entre 1970 et 1990, une nouvelle vague de projets se développa
aux Etats-Unis et témoigna dune large diversification
du modèle dorigine. En sappliquant aussi
bien à des sites urbains que ruraux, ces différentes
variantes proposaient de recycler des ponts désaffectés
(Steven Holl à New York) sur lesquels étaient
envisagées des greffes architecturales, dinventer
des ponts paysagers, ou encore de concilier une
créativité architecturale et artistique.
Mullgardt à San Fransisco
En 1924, peu de temps avant que Raymond Hood propose son projet
pour la ville de New York, larchitecte de San Fransisco
Louis Christian Mullgart conçu un projet visionnaire,
un pont gratte-ciel, reliant San Fransisco à
Oakland. Ce projet est radicalement différent de la plupart
des projets de ponts habités proposés précédemment,
ici tous les espaces résidentiels, de commerces sont
placés au-dessus de la route, incorporés dans
les pylônes. À cette époque, une dizaine
dannées avant que le Bay Bridge et le Golden Gate
ne traversent la baie, lidée même de franchir
une telle distance paraissait inimaginable. Les plans de Mullgardt
neurent que peu de considération de la part des
investisseurs et pas plus de la part des autorités de
la ville, même larmée, inquiète de
voir sa flotte bloquée en cas décroulement
du pont, mis un terme aux espoirs de Mullgardt.
Le pont imaginé était composé dune
structure en fer de 10 piliers de 285 mètres, servant
de bâtiments offrant des espaces intérieurs. Les
trois piliers centraux auraient été les plus hauts,
culminant à 86 mètres au-dessus de leau,
laissant passer les plus grands bateaux. Des extensions des
piliers servaient de plates-formes aux passagers afin dembarquer
dans les bateaux, et aux Zeppelins à atterrir. La chaussée,
initialement à un niveau, pouvait être transformé
en deux à trois niveaux si besoin. Les pylônes
auraient fourni des espaces facilement accessibles, offrant
une vue magnifique, clairs et aérés ; ils étaient
prévus pour être occupés par des habitations,
des bureaux, des hôtels, des auditoriums, des fabriques
ou encore des garages. Des ascenseurs auraient permis daffréter
les passagers directement des terminaux en bas aux différents
niveaux des bâtiments, ou à la route pour prendre
dautres transports.
Même si ce projet possédait quelques lacunes techniques,
il nétait pas pour autant irréalisable ;
Mullgardt expliquait dans The Architect and Engineer de Mars
1927 que ce pont aurait pu être profitable : Ce
genre de construction de pont offre chaque service nécessaire
: son domaine dutilisation est illimité et très
économique. Le pont peut accueillir des habitations aisément,
il convient admirablement à tout type de fonction, il
nest pas seulement faisable, mais il est logique. Il peut
être réalisé avec un coût minime.
Le sol na pas besoin dêtre acquis : les fondations
construites, les surfaces au-dessus de la terre nont pas
de taxes. Le coût actuel dun tel pont est déterminé
par les murs, fenêtres, portes, cloisons, ascenseurs,
plomberie, électricité
Raymond Hood à New York
Il apparaît que le pont habité pour New York, conçu
par Raymond Hood et illustré par Hugh Ferriss dans les
années 20, reste le plus ambitieux et mégalomaniaque
projet de pont habité jamais imaginé. Pas seulement
à cause de léchelle du projet, de la taille
des blocks dhabitations et des services sur le pont, mais
la vision de Hood, allait toujours plus loin : il imagina une
centaine de ponts identiques, reliant Manhattan à ses
banlieues et au New Jersey.
Sa dimension urbaine rappelle, à une échelle étendue,
lavant XVIIIè siècle à Paris, avec
ses nombreux ponts reliant lÎle de la Cité
aux rives de Paris.
Avant sa mort précipitée en 1934, Hood était
le responsable de cinq des plus grands gratte-ciel : the Chicago
Tribune building, the American Radiator Co. Building, the Daily
News building, the McGraw-Hill building et the RCA building.
Le premier projet de pont-ville de Hood fut publié
dans le New York Times le 22 février 1925, dans un article
intitulé : Bridge Homes : A New Vision of the City,
et illustré avec percussion par Hugh Ferriss, architecte
visionnaire talentueux.
Quelques 50 000 personnes pourraient habiter ce gratte-ciel
massif, utilisé comme pilier, des gratte-ciel plus petits
sous larc de suspension placés sur les côtés
de la chaussée, recevraient ainsi des magasins, théâtres,
esplanades et toits terrasses. À lexposition Drawings
of the Future City de 1925, Ferriss exposa des dessins
du concept des appartements sur le pont. Hood approfondi ces
essais en 1926 à une plus grande échelle, proposant
des travées de plus de 30 mètres. Bien que ce
ne fut pas réalisé, ces essais avaient un certain
sens économique, rappelant les arguments économiques
de Mullgardt pour son projet à San Fransisco à
la même période. Ces deux architectes développèrent
la notion des droits dans lair, mais ils ne furent pas
écoutés.
Morgan à Chicago.
En 1928, les lecteurs du Chicago Sunday Tribune apprirent la
proposition de larchitecte et artiste Charles Morgan pour
un pont habité à Chicago. Larticle nous
donnes les informations suivantes :
Rainbow Bridge, une immense arche de gratte-ciel, se courbant
de Lake Shore drive à Randolph Street, est la méthode
suggéré, pour relier le nord et le sud au-dessus
de la jetée du fleuve, par Charles Morgan, artiste et
architecte de Chicago.[
] Le nom, Rainbow Bridge (Pont
Arc-en-Ciel) fut donné à cause de ses bandes colorées
proposées par C.Morgan, ces dernières donnent
leffet dun arc-en-ciel depuis le Lac Michigan ou
depuis Michigan Avenue.
Linnovation du projet de C.Morgan réside dans lutilisation
de piliers géants, gratte-ciel occupés pas des
bureaux, sur 25 étages au minimum. Une autre innovation,
lentrée se ferait par le toit. Les locataires devraient
accéder par le pont à leur bâtiment, garer
leurs voitures dans les niveaux supérieurs et descendre
par lascenseur à leurs bureaux.
Comme les projets proposés par Mullgardt à San
Fransisco et Hood à New York, celui de C.Morgan à
Chicago ne sera pas non plus construit.
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